J'ai donné fin mai au journal "Le Monde", une interview sur les ruptures post-confinement. Intitulé "Notre mariage a explosé : Comment le couple a précipité les séparations", l'article du quotidien expliquait que, pour certains partenaires, ce moment de cohabitation permanente aura été le cruel révélateur de conflits latents, d'insatisfactions inavouées ou d'un éloignement déjà consommé depuis longtemps. Pour d'autres couples, au contraire, le confinement aura été riche en retrouvailles, en découvertes attendries, en rapprochements savourés. L'opportunité rare de vivre un moment fusionnel, à l'abri, bien serrés l'un contre l'autre. Pour beaucoup, c'est sûr, il y aura eu des hauts et des bas, des questionnements, des remous, des surprises, des disputes peut-être, mais aussi des échanges, des clarifications, des réinventions. Du mouvement, des réajustements, de la nouveauté. Tout ce qui fait le vivant d'un couple, sa vie, sa vivacité. Même confiné.
Des tensions exacerbées
Pour les couples, le confinement a pu exacerber les tensions relationnelles, notamment celles liées à une organisation de la vie quotidienne plus acrobatique que d'habitude. Avec, bien sûr, un "équilibre" vie pro/vie perso totalement bouleversé. Télétravail à concilier pour chacun, emploi du temps au cordeau pour que les visioconférences ne s’entrechoquent pas (après la "bataille pour se piquer la couette", celle de la bande passante), mise en place de l'école à la maison et/ou occupation des enfants (selon les âges et la motivation), organisation de la garde partagée pour les familles recomposées, sans oublier les nécessaires petites conciliations et arrangements créatifs pour que ce moment de vie (très) en commun ne vire pas au pugilat. Et souvent, sans possibilité pour les amoureux de pouvoir se retrouver lors de moment privilégiés. Pas le temps, pas de place, pas le courage. D'autant qu'à l'anxiété née de la situation sanitaire, se sont ajoutées de profondes angoisses écologiques, économiques (perte de revenus liée au confinement, crainte d'une crise à venir...), politique (errements et mensonges d'Etat, méfiance face à l'accentuation de la surveillance...). Pas le climat le plus serein pour roucouler.
La sensation d'étouffer
Une promiscuité sur la longueur, parfois insupportable, trop bruyante ou au contraire beaucoup trop silencieuse. "Trop", c'est sûr. Oui, disons-le : cela a pu être difficile. Pas forcément gravissime pour le couple, mais conflictuel, pénible, parfois accablant. Non seulement l'enfermement et le manque d'intimité à l'intérieur de la maison, surtout dans un petit espace, a pu être étouffant. Mais le manque d'ouverture vers l'extérieur, pour avoir son monde à soi, éprouver son autonomie, se sentir exister hors du regard de l'autre, a cruellement manqué. Car ce sont aussi nos relations sociales, nos projets personnels, notre sensation d'être utile à la société, qui construisent le sens que nous avons de nous-mêmes. Dans un article intitulé "Déconfinement : Comment apaiser nos peurs ?", je développais ainsi que nous sommes des êtres de mouvement. Nous avons besoin de bouger, de faire des projets, d'avancer dans la vie, au sens propre comme au figuré. Etre ainsi "à l'arrêt" peut nous faire déprimer. Une mise sur pause qui a aussi pesé lourd sur les relations amoureuses. Le nécessaire mouvement vers l'extérieur, "hors les murs", permet en effet aussi de nous ressourcer, de prendre du recul sur les difficultés traversées et de nourrir le couple des découvertes vécues ailleurs. Avec le confinement, difficile d'avoir chacun sa vie et des tas de choses à se raconter à la fin de la journée... Au point, parfois, de manquer d'air.
Une charge mentale insupportable
Pour certaines femmes (et, plus rarement, quelques hommes), le confinement fut aussi le moment d'une brutale prise de conscience. Cette fameuse "charge mentale", si justement croquée par la dessinatrice Emma dans cet album "Fallait demander", d'habitude acceptée, excusée ou supportée, vaille que vaille, mais que le confinement a tout à coup rendue insupportable, impossible à porter. Les courses alimentaires compliquées à organiser; les repas à préparer toutes les 10 minutes (en température ressentie); la capacité supersonique du bordel à se régénérer en des formes insoupçonnées; les pots cassés par les enfants qui s'occupent comme ils peuvent entre quatre murs... Et, malgré tous ces efforts, la culpabilité parentale de parfois craquer, de ne pas se sentir à la hauteur d'un idéal d'éducation bienveillante ; de ne pas cuisiner assez équilibré ; de laisser passer un temps d'écran largement au delà de la limite autorisée; de manquer d'idées pour voir les choses du bon côté... Une imperfection bien humaine, mais un peu trop lourde à porter sur deux seules petites épaules. Cette prise de conscience a pu aussi être salutaire pour certains couples, qui ont ainsi remis à plat leur manière de vivre ensemble. Avec l'obligation de dialoguer, de clarifier les envies et les indispensables de chacun, de s’entendre et de s'ajuster, pour trouver ensemble un meilleur équilibre.
L'obligation de s'incliner devant la situation
Alors, bien sûr, il y eut des hauts et des bas, des moments d'agacement, de découragement, de désespérance peut-être, entremêlés de joie, de retrouvaille, d'intensité partagée ou d'une tranquillité simplement savourée. Mais, sous la houle d'un quotidien bouleversé, comme un courant des profondeurs, le confinement nous a aussi poussé à retrouver une certaine intégrité, une entièreté. Confinés, les partenaires ont été astreints de s'incliner devant leur situation, d'être en contact avec ce qu'ils vivaient réellement ensemble. Impossible d'éviter leur relation, de courir ailleurs d'une réunion associative en dîner de copains, de week-end sportif en séminaire professionnel. Et selon les couples, le constat fut plus ou moins difficile. Certains constatèrent ainsi qu'ils ne partageaient plus tant de choses. Que l'indifférence, les rancunes ou l'animosité avaient pris toute la place. Qu'ils avaient emprunté des routes trop éloignées depuis si longtemps, qu'ils n'avaient plus l'élan d'aller l'un vers l'autre, ni la foi, ni le désir de réparer leur amour endommagé. Ailleurs, au contraire, certains m'ont témoigné du plaisir à ne plus se disperser, à se retrouver, à profiter du temps passé ensemble, à revenir à l’essentiel de leur relation. Et, saisissant cette disponibilité offerte, ils se sont surpris à changer de regard sur l’autre, à détricoter leurs certitudes, à voir des choses qu’ils n’avaient pas remarqué quand ils étaient pris dans la course de la vie d'avant.
Alors, rupture ou rapprochement ?
Dès la mi mars, le confinement a été présenté comme un examen de passage du couple, avec la prédiction d'une explosion de séparations à la sortie comme ce fut, semble-t-il, le cas en Chine précédemment. Prudence, prudence, prudence. Il convient en effet d'abord de prendre en compte un possible "effet de retard" avec notamment la suspension des jugements de divorce pendant le confinement, comme le soulignait justement Marie Carmen Garcia, sociologue (1), dans cette émission de France Ô, Flash Talk, à laquelle j'ai eu le plaisir de participer. Ajoutons que certains couples ont aussi décidé d'attendre la fin du confinement pour acter une rupture décidée juste avant. Prudence encore à propos de l'effet de loupe médiatique sur ce qui fait nouveauté, exception, plutôt que ce qui relève de la continuité (voir chiffres dans l'encadré plus bas). Prudence enfin car, au niveau du couple, si le confinement a pu être un révélateur des tensions qui existaient déjà, il a pu aussi mettre en évidence le soutien, de la solidité du couple ou de valeurs communes que les partenaires avaient perdu de vue. Ne tirons pas de conclusion hâtives, laissons au couple le temps de retrouver ses repères, ses ressources extérieures, d’assimiler ce qui a été vécu cette période exceptionnelle, de retrouver son rythme, sa respiration, son mouvement, sa vie... au-delà du confinement.
En chiffres : La grande majorité des couples sont prêts à reconfiner ensemble
D'après un sondage Ifop/Charles datant du 5 mai 2020 (2), le confinement n'aurait, pour le moment, pas eu d’impact sur la relation conjugale de la majorité (60%) des couples. Seulement 1 couple sur 10, particulièrement des jeunes couples (peut être parce que la relation, naissante, était plus fragile, peut être aussi parce que les conditions du confinement dans de petits espaces étaient plus difficiles à vivre), disent que cela les a éloignés, tandis que 3 couples sur 10 s'en trouvent rapprochés. A la sortie, si "4% des Français souhaitent rompre de manière définitive", souligne l'Ifop, "88% des personnes qui ont été confinés sous le même toit repartiraient avec le/la même partenaire en cas de renouvellement de la période de confinement." Côté sexualité, plusieurs études un peu partout dans le monde ont montré que le confinement aurait eu un impact sur les comportements sexuels et la satisfaction des partenaires. Quel impact ? Positif ou négatif ?... Cela dépend des enquêtes, des méthodes de sondage, des pays... et peut être aussi, des couples, des moments, des attentes, non ?
1) Autrice d' Amours clandestines. Sociologie de l'extraconjugalité durable, Presses universitaires de Lyon, 2016.
2) "Etat des lieux de la vie sexuelle et affective des Français durant le confinement", sondage Ifop / Charles du 05/05/2020, sur un échantillon de 3 045 personnes âgées de 18 ans et plus.
Ces magnifiques illustrations sont l'oeuvre de l'artiste argentin Marcos Severi, qui me vont droit au cœur.
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> Cet article de blog a été en partie relayé dans cette interview de Psychologies.com : "Le confinement a été un révélateur pour bien des couples" et a donné lieu à un dossier du jour de Richard Mazoué sur France Bleu Touraine (interview à retrouver ici sur la page Youtube de La Psy Buissonnière).